Une photo en dit long mais peut-être pas assez.

Une photo dévoile les secrets à moins qu’elle ne les déforme ou ne les transfigure.

Trois hommes, deux en débardeurs bleus et un en rouge, l’un derrière l’autre, le regard vers le sol herbeux et jonché de feuilles mortes. Sur le côté, une ficelle bleue accrochée à un frêle poteau. En arrière plan, des arbres feuillus et non conifères devant une surface ridée et uniforme. Voici pour la description.

Allons plus dans le détail.

Nous sommes bien sûr en automne ; cela n’étonnera personne. Le filin bleu, couleur permettant une visibilité suffisante pour délimiter un espace, jalonne une direction ou un parcours. Les arbres dont toutes les feuilles ne sont pas encore tombées car des jaunes s’accrochent éperdument encore, surplombent une étendue d’eau dont les légères ondulations sont formées par un vent faible qui souffle soit du côté droit de la photo et légèrement face à nos personnages (en l’occurrence Christophe Skieresz, Alexandre Malleret et Christophe Cabassut) soit au contraire provenant de gauche de la photo et pour ainsi dire d’un quart arrière des coureurs (on est au largue en terme « voilistique »). Parce qu’il s’agit de coureurs avec leur tenue adéquate composée d’un short, d’un débardeur signalant le club d’appartenance, et des chaussures certainement équipées de pointes. Nos athlètes sont ici en montée (l’eau se situant toujours en contrebas), mais c’est leur attitude qui nous le prouve : le regard tout d’abord dirigé vers le bas, le corps dans son ensemble ensuite, sensiblement penché vers l’avant. Voici pour l’interprétation.

Mais allons encore plus loin.

Hypothèse : l’ordre ici présent dans cette montée évoluera jusqu’à la fin de la course mais seulement pour les deux derniers. Christophe S terminera devant Christophe C qui lui-même terminera devant Alexandre. Pourquoi ? L’attitude est essentielle et révélatrice. Vous voyez où je veux en venir ? Non ?

Explication.

- Les regards d’une part. Le plus incisif est celui de notre premier concurrent, vers le bas certes mais surtout déjà dans la direction de l’avenir, de la suite du parcours ; concentré et déterminé. Pour notre second concurrent, le regard toujours déterminé se noie à l’horizon seul de sa foulée suivante. Quant au troisième concurrent, le regard est fixé sur la foulée de son prédécesseur comme par désenchantement de ne pouvoir l’attraper mais avec cette ferme intention d’y parvenir et de ne plus la voir. La perspective chronologique et spatiale est plus anticipatrice que pour Alex.

- Les visages d’autre part. Le premier semble détendu, pas de crispation des mâchoires, la bouche légèrement ouverte pour respirer juste ce qu’il faut. Pour Alex, un peu plus marqué par la dureté et l’âpreté de la course, la tête est légèrement penchée sur la gauche à la recherche d’une énergie puisée d’outre partie du corps. Enfin pour le troisième coureur, l’inquiétude semble déjà s’immiscer : vais-je pouvoir le suivre, le premier mais quand vais-je attaquer pour doubler mon plus proche concurrent ?

- Les bras par la suite. Le premier laisse tomber les épaules, fruit d’une aisance suffisante et d’une moindre déperdition d’énergie. Pour nos deux autres concurrents, la tête est un peu plus rentrée dans les épaules, attitude plus révélatrice d’une difficulté du moment. Et les bras vers le bas pour le premier, pas besoin de se replier sur soi, de chercher l’énergie au cœur même du corps au niveau du nombril comme c’est le cas pour les deux suivants. L’énergie du centre du corps peut être projetée vers devant et non plus, a contrario, recherchée intérieurement et gardée sur soi.

- Les mains enfin. Source d’un maintien parfait, elles révèlent un relâchement. Pas de crispation non plus à ce niveau. Les serrer, c’est encore puiser de l’énergie en soi et contribuer à une déperdition par répercussion. Les serrer, c’est puiser de l’énergie à ce niveau, énergie non productrice de déplacement.

- Et dernièrement, j’oubliais. Le numéro 60, c’est tout de même un numéro plus approprié que le 58 ou le 19.. Un nombre juste…

Au final. Christophe Cabassut passe devant Alexandre pour près de 20 secondes. Le corps trahit. Et lors de la course on se garde bien de le leur dire pour ne pas les décourager. Mais le premier reste bien le premier des trois.

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