Je n'ai pas suivi un entraînement digne d'un ultra par manque de motivation et j'ai seulement fait avant un trail de 30 km pour me rassurer alors que j'aurais dû me tester sur 50 km. C'est donc au feeling que je me suis préparé sans plan établi à l'avance.

Hormis de voir si les releveurs allaient tenir, je m'étais fixé de franchir l'arrivée entre 15 et 16h de course.


Une longue ballade dans les monts du Lyonnais


Pour m'assurer plus de confort, j'ai utilisé le camping-car de Lunettes en Scène et je suis arrivé la veille étant donné que le départ était à 6h du matin. Arrivé à St Martin en haut ( quelque part entre St Étienne et Lyon ) vers 17h30, je récupère mon dossard avec comme cadeaux: un saucisson, des fromages au lait de montagne et un petit pot de miel. Humm!!! est-ce un ravito d'avant-course ou une pasta locale?

La nuit se déroule bien durant la première partie mais le camping est en pleine nature: un chien insomniaque se met à aboyer et les vaches y vont de leur meuglement. Elle est pas belle la campagne, la nuit!!!

4h, réveil, j'avale mes muffins énergétiques fait maison et du jus de pomme. Je devrais tenir jusqu'au premier ravito.


Départ


Nous attendons dans la salle de sport en écoutant le briefing. Auparavant Julien CHORIER est venu nous encourager et nous dire qu'il avait accepté de venir par solidarité pour faire une partie du parcours de 47 km avec une joëlette. Quesaco que cet engin (1)?. Grosse récompense à qui trouvera?

On peut être un champion en trail, rester accessible et simple. Se lever pour 6h du matin alors que le départ du 47 km est à 11h30, il ne se la zlatane pas. A certains relais, il servait à boire aux coureurs, selon les bénévoles. Cette simplicité tranche avec les ''stars'' inaccessibles du ballon rond.

Vers 5h35, Thierry SAUNIER d'Yzeure arrive directement de chez lui. Une tête connue parmi les 83 partants hormis mon voisin de camping.

Le ciel est couvert et avec 6°, la température est plus élevée que prévue, je décide de poser le coupe-vent pour partir en T-Shirt manches longues car le dénivelé de 4135m doit me réchauffer. Surprise, sur la ligne de départ ,il fait jour, j'enlève la frontale pour la ranger dans le camel-bag et c'est à ce moment que retentit le coup de pistolet et je pars en vrac en tentant de remettre le tout sur mon dos. Ça commence bien!


Gérer


Tout de suite, on attaque une montée dans la ville, pas de panique je marche, il reste 102 km. Puis ce sera une succession de montagnes russes dans des chemins et petites routes. Thierry m'accompagne un peu mais à la faveur des descentes que j'affectionne, il ne peut me suivre. Toutefois mon camel bouge et la poche à eau fait un bruit de machine à laver. Pourtant j'avais fait le vide d'air, je resserre les sangles sans succés.

Au bout de 18 km, premier ravito que j'atteins en 2h01, visiblement je suis un peu rapide et je prends le temps de manger des minis sandwichs jambon et un peu de fromage. Et c'est reparti, avec des passages dans les bois, mais dans les parties dégagées, il fait plus frais en raison d'une petite brise sur les crêtes et de l'altitude. Quelques gouttes créent l'angoisse chez les coureurs. Heureusement ça dure peu de temps et nous aurons quelques alertes sur la matinée alors que des averses sont annoncées l'après-midi. Bizarrement, j'ai une sensation de point de côté dans les descentes alors que je ne suis pas en sur-régime.

Au ravito du 28ème, Thierry me rejoint alors que je me restaure. Visiblement il fait l'impasse et repart. Dans la descente, je le rattrape et on échange nos sensations. Mais au bout de quelques km sur de la monotrace, il décroche, je ne m'en apercevrais alors qu'il est déjà 200m derrière. Et ce camel qui bouge toujours, cela m'inquiète car je sais que cela crée une zone de frottement dans le dos sur la colonne et je connais le risque, ça provoque en général une nécrose de la peau. C'est seulement au ravito du 37 km que je trouve la solution en remettant de l'eau. Vu que j'ai seulement un coupe-vent, une couverture de survie et quelques barres dans mon sac, il y a trop de vide, il faut que je compresse avec les liens. En trail,on peut être trahi par la gestion du matos, il faut un minimum de maitrise de l'équipement et avoir de l'expérience acquise par l'erreur. La première fois que j'ai utilisé une poche à eau, je l'ai mis à l'envers et je n'arrivais pas à boire.( Ne pas rire, SVP!!!). Je constate que je ne bois pas assez, la température ne m'incite pas à m'hydrater et la conséquence je la connais, c'est une baisse de régime.

C'est reparti et le camel est stable. C'est un parcours agréable avec une alternance de montées jamais longues mais bien pentues sur des chemins et de descentes parfois techniques avec des pierres et des racines qui oblige à être en permanence vigilant. Le paysage vallonné est superbe mais il faut se concentrer sur la pose des pieds pour éviter l'entorse et la chute. Pour une fois, ce sera pour moi ni l'un ni l'autre même si j'ai flirté avec la limite.

L'ultra-trail est vraiment un autre façon de faire de la compétition puisque l'on voit certains répondre au portable, d'autres prendre des photos. De superbes monuments me donnent envie de les visiter, mais je reviendrais probablement pour explorer ces lieux.

A ce stade de l'épreuve, je ne suis pas au mieux et les idées négatives arrivent: ''je n'arriverais pas au bout'','' j'aurais dû faire des sorties plus longues de 6h au lieu de 4h30'', etc, etc.... Je me dis que je dois me raisonner et j'applique ma bonne vieille méthode: objectif aller au prochain ravito et on verra.

Visiblement nous sommes bien dans les monts du Lyonnais, je reconnais l'odeur caractéristique de la campagne qui avait envahie mes narines la nuit à la SaintéLyon, celle du purin. En plus, de plein jour, je peux voir qu'il s'écoule dans les chemins et je dois sauter par dessus les flaques et les rigoles. Mais peut-être que si je trempais les pieds dedans, ça dynamiserait ma foulée. En l'occurrence, je suis septique sans ''fosse'' modestie.(je sais c'est petit, comment ne pas le faire!).


Le meilleur est à venir.


Enfin, j'arrive à St Symphorien et donc 55 km de fait en 7h. Je suis surpris du temps mais aussi inquiet car un peu rapide. Au départ, j'ai donné un sac de rechange que l'on m'apporte. Comme d'habitude, je prends mon temps ( 20') pour changer le haut et le bas et manger une soupe maison aux vermicelles que l'on m'apporte. Les bénévoles sont aux petits soins pour nous, ça change de l'usine de SaintéLyon où c'est la bousculade pour accéder aux tables. Lorsque je repars je vois Thierry qui arrive. Il se plaint de mollets durs et ne semble pas bien. Il prendra des medics pour repartir car il est venu pour chercher les 3 points pour l'UTMB.

A partir de là, ce sera un long parcours en solitaire, même si occasionnellement, je ferais des petites parties avec des concurrents. En général, si j'en rattrape un, c'est qu'il n'est pas au mieux et à ce stade de fatigue, il m'est aussi difficile de ralentir mon allure que de l'augmenter. Je ne peux compter que sur les suggestions mentales pour m'obliger à courir sur les parties plates ou descendantes car les jambes sont lourdes et je ressens une lassitude physique. Je constate que la sélection s'opère. Un coureur marche sur le plat où plutôt avance comme un crabe blessé. Je m'arrête et lui demande si ça va. A sa réponse, je me rends compte que j'ai posé une question stupide. C'était tellement évident qu'il n'allait pas bien. Je lui demande s'il a besoin d'aide mais il veut seulement rejoindre Ste Catherine et abandonner.

Ce nom de village ne m'est pas inconnu, puisque c'est là que j'ai oublié ma frontale à la SaintéLyon et m'a obligé à faire un aller retour de 2 km. Cette fois, j'ai failli laisser les bâtons. Y-a-t-il une malédiction liée à ce lieu?

Durant 3 ravitos, un jeune senior me rejoint juste avant que je ne reparte. Mais cette fois, au bout de 3 ou 4 km, il me double, je tente de m'accrocher mais cela me paraît déraisonnable et il me largue sans coup férir. Je me dis qu'il doit avoir un coup d'euphorie ou j'ai beaucoup ralenti, pourtant j'estime ne pas être dans le dur. Je conserve toujours ma stratégie aller au prochain ravito.

Puis je vois un compétiteur marcher avec ses bâtons, il fait le 47 km et il est octogénaire et me confie qu'il y a une vitesse pour chaque âge. Respect et admiration. Il terminera en 10h. Cet échange me crée un motif supplémentaire de motivation et me permet de relativiser mes petites difficultés momentanées. Si j'ai perdu quelques minutes à marcher avec lui, j'ai emmagasiné des ressources mentales.


Le dernier pour la route


Environ1 km avant le dernier point de restauration, j'aperçois quelqu'un, ce n'est autre que celui qui m'a laissé sur place, il y a quelques instants. Assis avec un verre de Coca, il m'avoue avoir un coup de calgon et il tente de s'en remettre. En ultra-trail, il faut se méfier tout autant des coups d'euphorie que des coups de barre.

Je remets de l'eau et retourne le camel pour faire le vide. Oups!!!, ça fuit, j'ai mal fermé la poche et ça inonde le camel, la gaffe est faite, j'aurais le dos au frais. Je repars pour les 9 derniers.

Je double un coureur qui avait eu beaucoup de peine à partir du dernier ravito et qu'un bénévole avait gentiment poussé dehors. Mentalement, il est cramé. A ce niveau de la course, ça se situe dans la boite noire car je sais que le physique ne répond qu'aux injonctions. Ma favorite est ''on a plus de forces que de volonté'' pour ne pas laisser les douleurs dicter sa loi au cerveau.

Les bénévoles de l'ultra des coursières sont exceptionnels. Un signaleur vient à ma rencontre pour courir 200m avec moi et me dire que je suis bien. A ce stade, ça booste pour la suite. J'entendrais ce même propos de 3 coureurs qui vont chercher un de leur coéquipier. Ce type d'encouragement constitue un réconfort moral pour aller vers l'arrivée.

Bizarrement, depuis 25 km, je suis bien sans être pour autant dans la facilité. Contrairement à ce que je pensais de mon entraînement au début de course, je m'interroge si en faire plus est la bonne méthode car finalement je ne suis pas si mal.

Je trouve cette partie du trajet plutôt roulante mais avec des passages plus humides. Ce qui me vaut une belle glissade dans la gadoue. Merci les bâtons de m'avoir permis de ne pas avoir fait un splash dans la boue. Je sais, certain(e)s paient pour avoir un bain de boue mais mais moi je veux seulement rester debout et pas en 2 mots. Peut-être que la prochaine fois, j'essaierai et mais là, je n'avais pas de serviette.


Folie


Enfin, j'entre dans St Martin-en-haut mais je n'arrive pas à me situer puis j'aperçois la salle des sports, j'en suis à 14h55. Je peine à le croire mais moins de 15h, ça peut le faire. Accélération, 14h58 et quelques centaines de mètres à s'arracher, ça va être short. A l'arrivée dans la salle, ma montre indique 14h59'01. Incroyable.

Oui, pour 1 minute de moins c'est la jubilation, totalement ridicule au regard des 899 que je viens de réalisées. Pure futilité vu que cela ne correspond à rien mais satisfait seulement mon ego. Enfin si, cela signifie qu'au bout de 102 km, 4135m de D+ et autant de D- , on trouve encore des ressources pour aller chercher une satisfaction pour soi-même et non contre les autres. C'est magique et illogique. Sacré mystère humain.


Bilan:


Je n'ai pas l'impression d'avoir fait 4100m de D+; aucune douleur aux tendons; pas d'ampoules et pas de sensations de fatigue le lendemain. Mais le mauvais réglage du camel-bag m'a arraché le dos. Je marche normalement et pas comme un pingouin. Seuls les quadriceps se souviendront, pendant 48h, des descentes. Je veux redire que j'ai particulièrement apprécié le souci des bénévoles d'être au service des trailers.

Je termine 35 éme sur 64 arrivants alors que étions 83 partants.



(1) joëlette: engin à une roue qui sert à transporter une personne handicapée sur les chemins et en montagne. Vous avez trouvé alors vous pouvez m'accompagner sur un ultra!!!