L'infernale Saintélyon

On se croirait dans un hôpital de campagne devant des corps allongés à même le sol, couverts de boue et de sueur. Parmi ceux qui arrivent, si certains ont le sourire, d'autres arrivent en marchant le visage déformé par la souffrance et la fatigue. Mais il y a également des larmes qui traduisent les émotions du ''finisher'', il ne s'agit pas de douleur mais de l'immense bonheur de '' je l'ai fait''. Pour le béotien, ce n'est que souffrance inutile avec suspicion de masochisme. Que peut-il comprendre de ce que peuvent vivre ces fous qui ont passé une nuit blanche à courir dans des conditions de course que beaucoup d'organisateurs ou d'arbitres officiels d'autres sports auraient contraint à annuler leur manifestation ?

Ouf, on n'est pas à Chamonix au départ de l'UTMB. Alors merci à l'organisation d'avoir pris la lourde responsabilité de lâcher dans la nature les 11500 dingues. Au briefing de départ, on est prévenu qu'il y a de la neige et qu'à Ste-Catherine les conditions sont délicates (doux euphémisme). On nous recommande de mettre les chaînes, certains pensent que c'est pour les relayeurs en voiture. Que nenni, ça existe, il s'agit de chaines qui s'adaptent aux chaussures pour ne pas glisser. Un cocktail verglas, neige, congères et boue va marquer durement les organismes dont 3000 n'iront pas jusqu'à la ligne d'arrivée et une trentaine passeront par la case Hôpital.

Hall du parc expo de St-Étienne, quelqu'un me tape sur l'épaule, j'ai la surprise de voir Guillaume CHAVAROT venu faire la Sainté en relais pour le challenge Entreprise. Je sais que Julie MONIOT la fait également en relais.

Frileux comme à l'accoutumée, j'attends le dernier moment dans le parc des expos pour sortir affronter une température négative et rentrer dans le sas 9-11h. Que de monde, j'ai des milliers de personnes devant moi.

Trail, Christine ARRON, longue distance : chercher l'erreur. Étonnant, le départ est donné par Christine ARRON, une spécialiste du 100 et 200 m.

Après le 5, 4, 3, 2, 1, scandé par les participants, les premiers s'élancent, je piétine pendant presque 10 mn pour passer l'arche en position 4477. Sur le bitume, dans les rues de Sainté, je pars à mon rythme en doublant pas mal de monde et très vite, je vais avoir chaud bien que je ne sois pas très couvert.

Dés que l'on commence à s'élever, on attaque une partie pour laquelle je ne me suis pas entrainé c'est à dire le verglas. Heureusement, il n'y a pas de figures imposées ni de notes artistiques car certains ont dû prendre des cours avec Brian JOUBERT. Prudent, pas de prise de risques inutiles, je sors indemne de cette patinoire. Ensuite ce sera une alternance de neige environ 20 cm avec des congères au-dessus du genou qui donne l'impression de marcher dans une dune de sable et de verglas recouvert par la neige ou le givre. De vrais pièges.

Le trailer est très joueur, pourquoi pas le bowling !!! Bien évidemment, dans les descentes, il y a parfois un jeu de quilles humaines avec des strikes remarquables. Je n'arrive pas à compter les points.

Dans les montées enneigées, je me retourne pour admirer le superbe serpent de lumières qui s'étire. Spectacle grandiose. C'est beau le trail la nuit!!

Sur les crêtes vers St-Christo et Ste-Catherine, le vent cinglant fait chuter la température et je chope l'onglée malgré mes 2 paires de gants (si je coince le prévisionniste de Météo France, je l'enferme dans une chambre froide avec une soufflerie). Je m'interroge sur l'intérêt de mettre la veste. C'est non, même si je me caille un peu, j'espère qu'en accélérant je vais me réchauffer, je verrai plus loin.

Régulièrement ça bouchonne dès qu'il y a du verglas, des congères ou de la boue. Il en sera ainsi durant 35km environ.

Certes, les inscriptions pour le Sancy hivernal sont complètes mais j'aurai eu mon trail blanc.

Dans les ravitos sous des barnums, c'est la cohue. Il faut jouer des coudes pour accéder aux boissons et manger des pâtes de fruits, du fromage, etc. Même pour la sortie, il faut se frayer un chemin.

A celui de Ste-Catherine, je vais au stand Petzl pour faire changer les piles de ma frontale qui sont faibles après presque 4h d'éclairage. Au bout d'un km quand les lumières de la ville s'arrêtent, j'essaie d'allumer, je constate dépité que j'ai laissé sur la table ma source d'éclairage. Je peux continuer en bénéficiant des lumières des autres mais après réflexion, il me reste au moins 4h avant le jour, c'est risqué et je ne serai pas autonome. Oui, mais vais-je la retrouvée ? Demi-tour à contre-sens de la course.

''C'est dans l'autre sens'', '' Qu'est-ce qu'il fout?'', remarques des centaines de personnes que je croise et ne me voient pas car n'étant pas éclairé. Après ce retour angoissé au stand, je suis soulagé, elle est toujours là. Je repars en colère en essayant de relativiser mon erreur. A ce stade de la course, j'ai perdu environ 15 mn et 300 à 400 places.

Les bus des abondons se remplissent.

Après le troisième ravito, c'est la deuxième moitié, le programme ne varie pas beaucoup. Mais il est difficile de discerner dans la nuit si c'est de l'eau ou du verglas. Rester prudent est ma seule préoccupation et les sirènes d'ambulances ne rassurent personne. Je verrai même l'une d'elles au fossé. La neige est remplacée par de la boue et les glissades continuent. Dans un chemin technique en descente et verglacée, je ne peux éviter la chute mais sans gravité.

Plus on progresse, plus on trouve des personnes en difficultés avec des couvertures de survie.

Dans les descentes, je me laisse aller à doubler dans les parties techniques alors que certains hésitent. Tout le long, je double des concurrents, c'est vraiment un grand plaisir et c'est bon pour le moral tout en ne sachant pas si ce sera ainsi jusqu'au bout. Pour se faire, je mets du carburant, je m'oblige à boire et à manger, je ne rate aucun ravito même s'il faut avoir de la patience tant c'est la foire. J'essaie d'appliquer le principe de la pause utile que je recommande à mes coéquipiers d'entraînement.

Puis c'est le chant du coq, mais qu'est-ce qui lui prend, il fait encore nuit. Aurions-nous perturbé sa nuit en traversant sa campagne? Les odeurs me rappellent que nous sommes à proximité de fermes.

Enfin, le petit jour, traversée d'un gros bourg avec les marchands qui s'installent pour le marché, je n'ai rien à acheter mais une envie de croissant, ça serait bien qu'au prochain ravito, il y en ait. ''Arrête de rêver, c'est pas possible'', je me contenterais de madeleines mais la soupe c'est pas mal non plus.

Dernier ravito, un peu de coca, plus que 10 km et j'attaque la côte à 20% que l'on dit redoutable. Finalement pas tant que ça, même avec la fatigue, je suis surpris de voir que j'en termine rapidement avec ce ''mur'' puis la pente s'adoucit et c'est la plongée sur Lyon.

Dans la descente, certains marchent et n'arrivent plus à courir. Il en sera ainsi sur les parties plates tout le long des quais du Rhône. C'est interminable, encore 5 km. A mon avis, les km font plus de 1000 m.

Une seule chose, le mental doit prendre les commandes, courir et tenir avec comme devise '' on a plus de force que de volonté''. J'utilise des images positives entre autre celle du 100 km de Millau où Alain Rousset a réalisé un superbe finish. Je double des personnes, ça ne me fait plus kiffer. Mais que c'est difficile. Maintenir le rythme, surtout ne pas faiblir ni ralentir. Je suis bien dans cette allure. Si je dois aller plus doucement, j'ai l'impression que cela m'est impossible car ce serait encore plus dur ou sinon c'est marcher et pas question : on ne lâche rien.

69, chiffre magique, mais non, bande d'obsédés, c'est juste le dernier kilo. Quelques mots avec un survivant comme moi que j'ai rattrapé. On se dit que c'est bon pour l'arrivée, il lui reste quelques forces et j'ai envie de me tester pour savoir si je peux accélérer comme à l'entraînement. Ça marche mais il s'accroche et sur les 25 derniers mètres, il sprinte et me laisse sur place. Ah, ces jeunes!!!

Au pifomètre, je m'étais fixé 10h comme objectif sachant qu'à la Saintélyon, ce sont les conditions climatiques qui décident du chrono. La météo est un élément que l'on ne maitrise pas. Beaucoup de spécialistes reconnaissaient que l'on ne pouvait faire un temps. Le temps m'importe peu, c'est surtout ma gestion stratégique qui m'intéresse. Je suis satisfait de ma progression malgré ma bévue de Ste-Catherine. Par rapport à la mi-course je gagne presque 850 places.

Surtout heureux d'être parmi les 4024 qui ont franchi la ligne d'arrivée et sans blessure.

Même pas sommeil après cette nuit blanche et à 10h du mat, c'est pas l'heure de se coucher, alors douche et je rentre à la maison.

Le lendemain, je redoute le lever. Bon, tout va bien, pas de problèmes pour la descente des escaliers, les quadriceps se ressentent à peine de cette balade nocturne.

Hammam et sauna seront la récompense que j'accorde à ma carcasse. Et maintenant, repos et récup. : le plus important en trail long.

A titre d'info, en 2013, c'est la 60ème et pour changer ce sera Lyon- Saint Étienne.