Témoignage d’Antoine de Wilde : stage en Ethiopie
Nous sommes
le samedi 2 février.
Quelques semaines auparavant, j’avais rencontré 2 jeunes
garçons, de 8 et 11 ans : d’un anglais impeccable, ils m’avaient guidé
dans toute la ville, me montrant les endroits, les lieux, les prestiges ou
encore les astuces de la capitale éthiopienne.
Depuis, on
se revoit pratiquement quotidiennement, échangeant quelques phrases, un coca,
ou parfois un match de foot, sur gravier, avec des buts en pierre... des
moments simples mais enrichissants, pour nous 3...
Jeudi 31
janvier, ils me disent qu'ils aimeraient que je vienne manger chez eux, ils en
seraient heureux. J’accepte en admirant leurs bonheur à travers un simple
-oui-...
On a
rendez-vous samedi, 18H, à Mesqual Square, place mythique d’Addis Abeba (pour
info, c’est une place où au niveau circulation, on peut assister à un ballet de
voitures : 2 x 8 voies...!)
18h :
les 2 garçons m’attendent avec un sourire angélique. Habituellement en sandale,
ils ont enfilé une paire de chaussures, je dirais bien 3 pointures trop grandes,
de même que la chemise accompagnée d’un short rongé par le soleil..., je sens
tout de suite que cette soirée est importante à leurs yeux... elle va en
devenir de même pour les miens...
Nous
entrons sur un sentier, dans le quartier des bidonvilles d’Addis Abeba, c’est
la 1ère fois que je mets un pied dans cette « ville »
dans la ville... les gens me regardent, on peut sentir une atmosphère à la fois
tendue et attrayante... un garçon me prend la main, et en quelques secondes, le
visage des habitants changent, des sourires se devinent, des « Hello,
How are you ? » se jettent à bout de souffle. Nous marchons bien 10
minutes, un coup à droite, un coup à gauche, un vrai labyrinthe de misère...
des « cabanes » en taule soutenues par des pilotis en bois, une odeur
de station d’épuration : un carnage. Et pourtant...
J’ai amené
avec moi une bouteille de vin venue tout droit de notre… de « ma
terre bourguignonne », fier de faire goûter un peu de mon patrimoine spiritueux!
Nous arrivons devant leur « maison »... chez
nous on appelle ça « un abri » pour ranger les outils de jardinage...
Avant d’entrer, je leur demande comment on dit en Ethiopien
« Bonjour Monsieur / Madame » ; ils me répondent que ce
n’est pas la peine car leurs parents sont morts... ils vivent avec leur sœur
aînée de 15 ans... 1er coup de froid.
On entre, on est à peu près dans 6m², guère plus : un
matelas est posé sur le sol, une table en plastique est contre le
mur ; nous sommes entre 4 plaques d’acier, le bidonville est en
pente, une planche en bois recouvre le sol de cailloux ; on m’
explique que c’est pour les crues de pluies, comme ça, l’eau
« évite » d’emporter la maisonnette...
On s’assoie sur des coussins ; la jeune fille sort
un grand plat, nous mangeons typiquement éthiopien : de l’hingera,
pâte faite à base de Tef (riche en fer) avec autour plusieurs sortes de
viandes, de légumes et d’épices (très très fortes les épices!).
L’adolescente travaille dans un restaurant, elle gagne 180
birrs par mois (soit 13/14 €...) et travaille tous les jours ; je
pense qu'elle doit dormir « 35H »... dans la semaine.
Problème : son loyer est de 390 birrs, elle m’explique
qu'elle compte sur ses pourboires pour réussir à atteindre ce montant. Elle
récupère la nourriture périmée de quelques jours pour pouvoir nourrir ses
frères, elle me rassure sur le coup que ce qui est désormais dans mon
estomac est du jour !
Elle lave les vêtements dans le cour d’eau d’à côté :
un cour de boue plutôt... elle essaie d’épargner pour pouvoir payer
l’école à ses frères, le plus jeune me montre l’endroit où il dort : des
trois, c’est lui qui est contre la taule, il me montre une image Panini usée
par le temps, collée contre celle-ci, celle de Christiano Ronaldo, joueur
de Manchester United : il aime bien la regarder avant de dormir ou d’aller
à l’école...
La course à pied est un bon de sortie et de survie pour les
meilleurs, le foot n’est seulement qu'un rêve...
Ca devient difficile de manger, j’ai l’impression de les
priver de quelque chose, je repense à tout ça, à la lueur d’espoir qui
émerveille leurs yeux, leur façon de se « contenter », de
sur-vivre simplement, la misère d’un terrible monde...
A ce moment précis, j’offre la plus belle œuvre de
lâcheté de ma vie, je simule un appel sur mon portable et sors de table
pour aller dehors, j’explose en larmes... C’est trop difficile, comment
a-t-on pu laisser faire ça? La réponse n’est certainement plus de cette
Terre. Qu’est-ce-que je peux faire ? Rien, malheureusement, je ne suis qu'une
goutte d’eau de solidarité dans l’océan de la misère...
Je reviens à l’intérieur, en un regard, ils ont compris...
ils me disent que si on les envoyait à Paris ou à New York, ils n’y resteraient
même pas 24h, ils retourneraient à leurs racines, pauvres mais si fortes...
A la fin du repas, ils me remercient en me prenant dans
leurs bras, me remercient simplement pour ce moment de partage, ma
culture, mes yeux et ma couleur de peau, différents, leur ayant permis de
voyager quelques instants...
On se reverra sûrement dans les jours qui viennent, on
portera un autre regard, certainement plus appuyé... je rentre seul à mon
hôtel, où je passe mes nuits pour 320 birrs...
Ce soir là, le sommeil s’est perdu entre la tristesse et le
chagrin, mais ce moment m’a permis une chose, de pouvoir donner une
valeur à l’endroit d’où je viens... soit peut-être la plus belle de mes
richesses... n’était-ce pas cela, le plus beau des trésors ?
'' La vie est belle, le destin s'en écarte, personne ne joue
avec les mêmes cartes.
Le berceau lève le voile, multiples sont les routes qu'il
dévoile...
Tant pis, on n’est pas nés sous la même étoile... '' I am
Adressé le 5 / 01 / 2008
En direct
d’ Ethiopie, depuis 2h devant l’écran, le temps que la page se charge.
Je suis bien arrivé hier (le 4), long voyage, très fatigant, j’ai la chance
d’être très bien installé.
Il fait environ 30 degrés de 7h à 16h, l’air est agréable mais le soleil
est difficilement supportable, il tape très fort.
Ici, c’est un autre monde incontestablement, c’est même pire que les
documentaires ! Mais les gens s’en contentent et sont heureux comme ça,
ils ont le sourire et (sur)vivent comme ils peuvent.
Un blanc est bien considéré ici, seulement car il est d’une autre couleur et
parce qu’il a de l’argent. Pour l’instant, je semble être le seul blanc !
Je ferai mon possible pour envoyer quelques photos.
J’ai vu Kenenisa et Tariku Bekele hier, on a bien rigolé. Je commence
l’entraînement lundi, seulement le matin dans un premier temps.
Adressé le 8 / 01
Le jour
tant attendu arriva, celui du premier entraînement.
5h30 : le réveil sonne, à 6h en voiture pour rejoindre en groupe les hauts
plateaux d’Addis Abeba.
Evidemment, par 25 degrés, j’étais le seul en short et tee shirt en train de
perdre
Au programme : 45 min. d’échauffement actif, le « actif » était
de trop...
C’est
parti,
Des arbustes partout, que des chemins de terres rouges, des trous, des buttes,
un vrai parcours de cross en continu.
30 min. de course, je n’en peux plus, ma montre indique 18/19 km/h, j’ai
l’impression d’être Marc Raquil, ça va trop vite mais je suis toujours là, mais
pour combien de temps ! J’ai la tête en arrière, je suis en eau, mes
cuisses sont dures, on dirait que je souffle des bougies tellement je suffoque.
Plus que 10 min. à tenir, je ne regarde rien, je cours, je suis la file.
Un coureur vient à mes côtés et me glisse un « it’s good,
follow ! » (« c’est bon, suis ! ») : je le
regarde, je ne peux que lui transmettre un « merci ! » par le
regard.
Plus qu’une minute, les plus faciles de toute ma vie, libéré d’avoir tenu
l’allure et d’être resté avec le groupe.
STOP ! Tout le monde s’arrête. Trop fier pour m’écrouler par terre, je me
contente de mettre les mains sur mes genoux ; on vient me taper dans le
dos, me prendre la main et m’appuyer contre leurs torses : une
reconnaissance. Je souffre mais suis tellement heureux, d’être là, d’avoir
tenu.
On s’étire quelques minutes, puis ils doivent partir pour 10 min. au train, on
m’explique le chemin du retour, je rentre en « récup » : pour un
1er jour, c’est déjà bien !
Je les vois partir, tels un troupeau de guépards : là c’est sûr, je
n’aurais pas pu tenir.
Je commence à rentrer, j’ai pulsé à 190/195 tout le long du footing, je peine à
redescendre en dessous de 180, même à 10 km/h ; je commence à comprendre
d’où vient leur force : de leur union, leur environnement, et de toute la
misère du monde qui les entoure. La course est la porte de sortie.
Je croise des fermiers et des enfants qui me saluent, des bus qui me klaxonnent
avec tout le monde à leurs fenêtres, mais aussi des ânes à travers champs, des
chevaux ou encore des buffles transportant la récolte matinale.
Pus vint le moment tant redouté qui arriva dès le 1er jour : impossible de
retrouver le chemin du retour, tout se ressemble, je ne sais dans quelle
direction aller ; l’heure tourne, je crie le nom de mon colocataire :
aucune réponse. Alors je décide de rentrer par la route, sûrement plus long
mais sans carrefour ni pattes d’oie : je devrais arriver au but.
Je cours, encore et encore, 1h10, 1h15, 1h20, j’ai faim et surtout très soif.
Je me souviens des sigles inscrits sur le panneau de l’endroit où nous étions
tous garés ; je croise un enfant sur le chemin, je lui dit bonjour en
éthiopien et lui explique par des signes que je suis perdu, je trace avec mes
doigts sur la terre battue les sigles approximatifs dont j’ai souvenance ;
il me fait signe de le suivre et au lieu de prendre la route ou de m’indiquer
le chemin, il m’embarque à travers champs.
Il court vite pour un enfant de son âge, il a environ 7/8 ans, en plus il
est pied nu, mais il sourit tout le temps ; je me demande s’il a bien
compris ce que je disais, mais je le suis quand même.
10 min. plus tard, il me montre du doigt l’endroit avec les voitures, le
panneau au loin avec les mêmes sigles ; nous sommes à
Je me relève, lui dit au revoir de la main et redescend vers le groupe en train
de s’étirer ; j’explique mon histoire dans un anglais incertain, tout le
monde rigole. On dit que ça arrive même aux éthiopiens, alors ils retrouvent le
chemin en fonction du soleil : encore fallait-il le regarder au moment du
départ !
Je suis torse nu, on me prête un tee shirt et on remonte tous en voiture pour
retourner à Addis Abeba.
En repartant, je me tourne vers la gauche et aperçois au loin mon petit Seyo
vêtu de mon tee shirt, je comprends alors que je viens de vivre quelque chose
d’unique, qui ne peut se produire qu’en Afrique : environ 1h35 de
souffrance pour un souvenir éternel !
En rentrant, j’ai dormi 3h, totalement vidé et épuisé.
Je récupère bien pour l’instant, je cours 4 fois cette semaine puis tous les
jours à partir de la semaine suivante, les séances ne commenceront pas avant 10
jours.